En 2020, le promoteur éolien SOLVEO a proposé d’ériger quatre éoliennes de 200 mètres de haut à Milhac-de-Nontron, dans le nord du département de la Dordogne. Il ne devait pas connaître les habitants, qui sont unanimement opposés à l’arrivée d’éoliennes sur leur territoire. Au vu du registre de l’enquête publique, qui a établi qu’il y avait 97% d’opposants, et considérant la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, le préfet de la Dordogne a refusé le projet le 3 octobre 2022.
Or voici qu’en décembre la société SOLVEO attaque ce refus devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux. SOLVEO engage-t-elle cette démarche pour éviter de sortir les éoliennes de Milhac-de-Nontron du portefeuille de projets qui valorise la société aux yeux des analystes financiers et de ses actionnaires ou peut-elle vraiment croire qu’elle retournera la décision du préfet de la Dordogne?
Elle pourrait compter sur des appuis. Pour cela, il faut aller 40 kilomètres plus à l’ouest, à Champagne-et-Fontaine, toujours dans le département de la Dordogne.
C’est une histoire ubuesque. Il y a 22 monuments historiques dans un rayon de 5 km autour du site de Champagne-et-Fontaine où le promoteur éolien RES voulait implanter six éoliennes géantes. Il soutenait que son projet ne gâterait pas le paysage. Le préfet de la Dordogne a opposé un refus, mais le ministère de la Transition écologique a paru… oublier de le soutenir.
En septembre 2019, l’association Citoyenneté et environnement en Périgord (CEP), les communes de Champagne-et-Fontaine, Verteillac, Villebois Lavalette, des habitants -dont la propriétaire de la maison d’enfance de Charles de Gaulle La Ligerie, ont déposé un recours contre le permis de construire délivré au promoteur éolien RES. Les requérants invoquent l’atteinte à la biodiversité de son projet.

Mais comment la perspective d’implanter des éoliennes peut-elle encore menacer un site où l’on compte 22 monuments historiques ? Quand le préfet de la Dordogne lui-même a dit et répété non ? Eh bien c’est le ministère de la Transition écologique qui a rendu l’affaire possible… En effet, les services d’Élisabeth Borne ont paru tout simplement… oublier de conforter le représentant de l’État dans sa décision.
Ce dernier avait pourtant, en janvier 2016, étayé son refus de délivrer un permis de construire à RES. En effet, après une enquête publique (en 2015) à la participation exceptionnelle, où les observations contre le projet faisaient la quasi-unanimité, les communes et la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) avaient également fait part de leur opposition à ce projet. Le préfet avait donc dit non au promoteur RES au motif que « le projet (était) de nature à porter atteinte aux paysages et au patrimoine architectural environnant ».
À l’heure où les promoteurs se plaignent d’instructions interminables, force est de constater que ça n’avait pas été ici le cas.
Mais RES avait aussitôt attaqué la décision de la préfète Anne Baudouin-Clerc devant le tribunal administratif de Bordeaux. Qui, en juin 2017, avait confirmé la décision du préfet, que l’association Citoyenneté-environnement-Périgord soutenait.
… et le promoteur a fait appel, dès le mois d’août. Faisant valoir que le tribunal administratif « a(vait) commis une erreur de droit dans l’application de l’article R 111-21 du code de l’urbanisme en omettant d’apprécier l’impact du projet sur la site environnant ». En clair, le projet aurait été refusé pour son atteinte aux paysages et au patrimoine – évidente pour tout le monde – mais le tribunal administratif ne l’aurait pas détaillée. Le promoteur affirmait alors que « le projet n’(était) pas de nature à porter une atteinte au caractère paysager et patrimonial environnant », qu’il « présent(ait) davantage d’enjeux environnementaux que paysagers », qu’« il exist(ait) même (sic) une absence de concurrence visuelle » avec les 22 monuments historiques dans le site d’implantation du projet.
Il revenait cette fois à la Cour administrative d’appel de Bordeaux de trancher, et au ministre de la Transition écologique -Élisabeth Borne alors – de prendre le relais du préfet pour défendre l’État.
Or, c’est à ce moment que le ministère de la Transition écologique allait… s’endormir. Pour se réveiller 18 mois plus tard. À vrai dire, il est permis d’en douter. Car s’il a bien adressé un mémoire en défense… c’est une heure avant la clôture de l’instruction, le 1er février 2019. Mémoire dont l’indigence semble acquise puisque la Cour d’appel s’en tiendra là, ne demandant pas de prolonger l’instruction pour permettre au promoteur de répliquer. Rocambolesque.
Dans la même veine, l’État n’enverra pas de représentant à l’audience du 9 juillet 2019. Aussi, dans ses attendus, la Cour administrative d’appel reprendra les affirmations du promoteur… Ainsi soulignera-t-elle, pour exemple, que l’étude des pièces du dossier ne permet pas de soutenir que son projet de parc éolien « est susceptible de porter une atteinte significative à l’un quelconque des 22 autres monuments historiques présents dans un rayon de 5 km autour du site d’implantation, la seule présence de ces monuments ne suffisant pas à justifier le refus d’autorisation. » Total, « eu égard au motif d’annulation du premier jugement », la Cour délivrera elle-même le permis de construire à RES. Une délivrance qui est donc aujourd’hui contestée par l’ensemble des opposants à ce projet de parc éolien, comme le préfet de la Dordogne lui-même en janvier 2016. Que se passera-t-il, maintenant que le projet a été revendu par RES à une société coréenne, auquel le maire de Champagne-et-Fontaine a fait part de l’opposition de toute la population ?
On veut croire que la passivité extrême du ministère de la Transition écologique, qui s’est traduite ni plus ni moins par une désolidarisation d’avec le représentant de l’État, est une aberration statistique.
Si l’inertie du ministère venait à être une nouvelle fois constatée à Milhac-de-Nontron, on pourrait redouter qu’il s’agisse en réalité d’un mécanisme intentionnel.
Rien de statistique là-dedans: une circulaire du ministère demande explicitement à ce que les services de l’Etat ne fassent plus appel des décisions favorables à l’éolien, au prétexte de l’urgence énergétique. Alors, se joindre au combat contre un appel du promoteur…