TRIBUNE – Bernard Bousquet : « Beynac : le gouffre se creuse ! »

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ARGENT PUBLICDéviation de BeynacTRIBUNE - Bernard Bousquet : « Beynac : le...

chantier déviation Beynac

« Après Padirac, voici que notre belle région se dote d’un second gouffre, artificiel et financier cette fois : Beynac. La provision d’un million d’euros destinée à payer l’astreinte financière (3000€/j) pour non démolition des ouvrages du feu chantier de la déviation n’est que l’entrée dans un vortex dangereux qui risque d’entraîner les finances du Département vers un abîme insondable.

Les Périgourdins ne sont pas crédules au point de ne  pas comprendre que le projet de Beynac est en train de compromettre les finances de la collectivité territoriale avec la poursuite d’une querelle que l’État de droit et la raison condamnent.

Le démarrage d’un soi-disant « nouveau » projet, sans destruction de l’existant, ne dispensera pas le Département (donc vous et moi) de continuer de payer cette amende. Tandis que, rappelons-le, la Dordogne n’est pas loin de battre un record d’endettement étant en tête du groupe des 25 départements dont la population est comprise entre 250 et 500 000 habitants, avec une dette de 1067 €/hab. !

Même si le préfet donnait une nouvelle autorisation de démarrage pour une version bis du contournement routier, chacun sait  que le projet n’aboutirait pas. Un recours en justice que les opposants à la déviation ne manqueront pas alors de déposer devrait, selon toute vraisemblance, conduire à une nouvelle suspension. Pour une bonne et simple raison : les juges n’ont pas pour habitude de se déjuger et le Conseil d’état, à deux reprises, a statué au fond sur ce dossier. Résultat :  ce  serait un nouveau gâchis d’argent public dépensé en études, communication, invitations de politiques, avocats, procès… Le président du Département devrait le comprendre.

Au-delà du coût financier, et tandis que la pays freine des quatre fers pour ralentir le rythme effréné d’artificialisation du territoire (plus de 50 000 ha par an), il est scandaleux de continuer de sacrifier les terres fertiles d’une vallée préservée, pour l’ouvrir à un flux permanent d’une circulation automobile qui n’a rien à y faire. Et ce n’est pas parce « qu’il existe déjà 140 ponts sur la Dordogne » (sic) qu’on doit continuer de la bétonner à tout va ! Il y a des limites aux résiliences naturelles ! Les compensations écologiques ne sont que de médiocres pis-allers. Quant aux routes et aux ponts ils ne sont pas encore assez transparents pour s’intégrer dans les paysages…

En période de lutte contre les dérèglements climatiques et contre l’effondrement de la biodiversité, d’acheminement vers les mobilités électriques, de besoin de protection renforcée pour les sites classés, la Dordogne ne manque pas de projets plus utiles pour le bien général.

Dans le nouveau paradigme sociétal, ce contournement routier d’arrière-monde n’a plus aucune chance de se poursuivre. La (bienfaisante) lame de fond écologique n’a aucune raison d’épargner le département. En cette période de sobriété économique et énergétique, pareille dépense est à proscrire. En 2035, l’Europe roulera électrique, ce qui enlève toute crédibilité économique à un projet de déviation routière conçu pour si peu de temps.

Il existe pour le « Triangle d’Or » des alternatives d’aménagement bien moins onéreuses et destructrices et qui pourtant n’ont jamais été étudiées ; toutes respectant le site Natura 2000 et l’aire centrale de la réserve de biosphère « Bassin de la Dordogne », pour laquelle M. Peiro, président de l’organisme gestionnaire (Epidor), devrait avoir le plus grand respect ! Car voici son statut officiel défini par l’Unesco : « L’aire centrale comprend un écosystème strictement protégé qui contribue à la conservation des paysages, des écosystèmes, des espèces et de la variation génétique ». Et ne parlons même pas du site Natura 2000, de l’arrêté de biotope, du site inscrit aux monuments historiques…, autant de classements en protection forte du Triangle d’Or, mais que les autorisations jadis délivrées semblent avoir curieusement oubliés !

Le montant des travaux de « remise en état du site » avancé par le Département montre qu’il prend l’injonction au pied de la lettre. Or, nul besoin d’arracher à la rivière la totalité du béton qu’on a injecté dans son lit pour le besoin des fondations des piles de ponts. Leur tronçonnage à la scie diamant, au ras du fond est largement suffisant et donc bien moins coûteux. C’est aussi la garantie de ne pas polluer les nappes phréatiques sous-jacentes une deuxième fois ! Bref, remettre le site en état (sans extraction des fondations) reviendrait selon l’estimation d’un expert indépendant à 6-7 millions d’euros (et non pas 16 millions comme prétend le département).

Alors que pour finir le chantier, dont l’état d’avancement est à peine de 40% (selon ce même expert), il faudrait doubler l’investissement annoncé à l’origine. Le tout dans une totale illégalité. Et la déviation ne dispenserait pas le Département de sécuriser les falaises de Beynac.

« Linjustice » et le « chis » ne sont pas du côté où M. Peiro les situe. Les juges du Conseil d’Etat ne rendent pas l’injustice mais la justice.

Avec humour, nous pourrions suggérer au président du Département de revendiquer l’indépendance de la Dordogne qui disposerait de sa propre Cour de justice, pourrait lever les impôts à sa guise, voter ses lois, imposer les projets à son gré puisqu’il tiendrait les rênes de l’économie…

En attendant, M. Peiro accuse les juges d’avoir « torpillé » un projet qui « lui ferait perdre 40 millions deuros » s’il les écoutait. La somme est très discutable, une fois de plus exagérée, pour que les Périgourdins endossent la pilule amère d’une guerre picrocholine qui n’a que trop duré.

Ne serait-il pas temps d’arrêter ce mauvais feuilleton, de faire preuve de saine gestion de l’argent public ? De prendre enfin la seule décision de bon sens qui s’impose, celle d’entamer la remise en état d’un site patrimonial et emblématique, enlaidi par d’horribles excroissances de béton et des structures métalliques rouillées.

chantier déviation Beynac
De quoi servir le paysage… (DR).

Résumons-nous : la remise en état immédiate n’a que des avantages:

  • pour les finances du Département, il revient moins cher d’effacer les saccages paysagers existants que de poursuivre le chantier coûte que coûte !
  • pour l’environnement, le site pourra retrouver la sérénité de son aspect originel et peu à peu son intégrité au fil des ans,
  • il n’y aura plus d’astreinte financière.

Il serait aussi bien plus opportun, plus conforme au bien public, que l’argent public finance la protection de la nature, autrement que par le versement aux associations du produit des astreintes pour un projet illégal.

Souhaitons qu’un jour la raison, le souci de l’intérêt général se rétablissent en Dordogne pour la sérénité des habitants et le paisible fonctionnement des institutions. »

Bernard Bousquet, écologue-forestier

po. G. Charollois, président de la SEPANSO (Société pour la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest) po. Pascale Van den Ostende, membre du CTPN (Collectif transition Périgord noir) po. DIGD (Défense de l’interêt général en Dordogne)

1 COMMENTAIRE

  1. En quelque mots, la visee est juste. Il manque seulement de savoir combien l’opposition a été muselée dans le but de faire croire a l’indispensabilite du projet. Au 21 eme siecle il n’est plus tolerable d’accepter ce genre de situation. Les français en ont assez de subir les frasques de leurs elud, ils ne supportent pas non plus une opposition… qui s’oppose guère.
    Un peu d’honnêteté et de courage seraient de rigueur par les temps qui courent. La situation d’avancement fut étudiée deux fois. L’une donne 26/100 et l’autre 27/100 !!!Mais le president annonce 60/100 de regle! Où est passé la difference??

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