
La préfecture de la Dordogne a diffusé, lundi 10 mai 2021, un communiqué qui annonce la publication au Journal officiel le 07 mai d’un arrêté interministériel portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle de 9 communes de Dordogne. Celle de Beynac en fait partie, « pour inondations et coulées de boue, qui étaient intervenues du 31 janvier au 08 février 2021 ». Pour mémoire, le 28 janvier, l’éboulement d’un muret avait entraîné la chute de quelques pierres sur la RD703. Aujourd’hui, le Département de la Dordogne maintient toujours la circulation sur une seule voie dans la traverse du village, en la régulant par un alternat. En attendant (toujours) que la propriétaire dudit muret réalise les travaux de consolidation de la colline, auxquels le cabinet Géolithe a recommandé de procéder en urgence. Outre le montant de la facture (présumé consistant) et la détermination des responsabilités (éventuellement partageables), la difficulté, aussi, à mobiliser les entreprises ralentit l’exécution du chantier. Or, cet arrêté pourrait précisément lever tous ces freins, et ainsi amener à un rétablissement de la circulation sur deux voies. Le préfet de la Dordogne Frédéric Perissat aurait ainsi repris la main. Avec, pour premier effet, l’espoir que la saison estivale échappe à des sur-embouteillages ; pour second effet, le soulagement du Département, que l’État dégagerait de toute responsabilité financière, de sorte -et c’est un bénéfice secondaire substantiel- que, plus globalement, sa mise en cause dans ce blocage tombe -en effet, preuve serait apportée de la nécessité que l’État s’en mêle. Même si, conjointement, cet arrêté peut aussi être compris comme un rappel, à qui veut l’entendre, que les batailles idéologiques peuvent avoir des limites.
Parmi les 9 communes* de Dordogne à avoir été classées en état de catastrophe naturelle après les inondations et les coulées de boues survenues en début d’année, il y a Beynac -pour la période du 31 janvier au 08 février 2021. Dans les contextes périgourdin et électoral, la lecture du communiqué de la préfecture de la Dordogne laisse accroire que l’arrêté interministériel du 19 avril publié le 07 mai 2021 au JO est taillé sur mesure pour la petite cité médiévale. Pour rappel, à l’interdiction totale (à partir de fin janvier), a succédé (à partir du 19 février) une circulation routière contrainte dans sa traverse, après qu’un muret s’est éboulé. C’est le Département de la Dordogne qui a pris ces dispositions au nom de la sécurité. Reste que, non seulement la propriétaire du fameux muret est tentée de réfléchir avant d’engager des travaux de consolidation fort onéreux, mais elle est aussi à même d’attendre de savoir si elle est la seule à devoir s’acquitter de la facture. Sans compter que, jusqu’à présent, les entreprises qu’elle a sollicitées témoignent peu de réactivité.
Crainte de sur-embouteillages inopportuns
Total : encore aujourd’hui, le Département de la Dordogne maintient une circulation restreinte, en utilisant un alternat qui, de fait, change la vocation du parking à l’entrée de Beynac (dans le sens Saint-Cyprien-Vitrac). Celui-ci est en effet précisément devenu, pour les conducteurs, un moyen… d’éviter ce feu régulateur des flux contraires. Que la situation que crée cette circulation réduite à une seule voie s’enkyste… et les embouteillages dont les partisans du projet de contournement de Beynac se plaignaient hier… ne seraient rien comparés à ceux de demain, quand la saison estivale va démarrer -un dommage potentiel qui s’ajouterait fâcheusement à celui de la crise sanitaire. Le… pont de l’Ascension en a d’ailleurs donné un aperçu : en bas de la rue de la Balme, on s’est beaucoup, beaucoup impatienté dans sa voiture à l’arrêt.
Le dommage redouté pour la saison d’été est d’autant plus mal compris que la propriétaire du muret a déjà procédé aux opérations minimales nécessaires à la sécurisation, laissant s’interroger sur l’objet actuel du maintien du dispositif. Il se trouve d’ailleurs que ce pont de l’Ascension a été fort pluvieux… sans qu’aucun élément de la pente n’atterrisse sur la chaussée. À savoir, si, comme des taquins l’avancent, le Département tient là matière à répéter tout le mal qu’il pense de la décision de la justice administrative de remettre à jamais ce projet d’infrastructure routière, décision rendue définitive par le Conseil d’État.
« C’est l’État, par l’intermédiaire des banques, qui indemnise les victimes » (communiqué de la préfecture)
En tout état de cause, à le lire, cet arrêté pourrait débloquer la situation. En effet, explique le communiqué de la préfecture, les habitants ont 10 jours à partir du 07 mai (en jours ouvrés) « pour déposer auprès de leur compagnie d’assurances un état estimatif de leurs pertes, afin de bénéficier du régime d’indemnisation prévu par la Loi n° 82-600 du 13 juillet 1982 ». Puis un mémo rappelle comment l’état de catastrophe naturelle se définit. « C’est une garantie mise en place par l’État depuis 1982 ; cette garantie permet d’indemniser les victimes d’épisodes naturels d’une intensité anormale, qui ne sont pas pris en compte par les contrats d’assurance classiques (inondations, coulées de boue, avalanches, séismes, glissements de terrain, sécheresse…) ; la nature et l’intensité du phénomène doivent avoir été récemment reconnues par l’État, qui détermine aussi très précisément la zone géographique concernée ; l’état de catastrophe naturelle vaut expertise pour les assurances ; les victimes sont indemnisées de façon automatique à condition d’avoir souscrit une assurance multirisques habitation et/ou automobile ; c’est l’État, par l’intermédiaire des banques, qui indemnise les victimes ».
Voilà de quoi supposer que le temps de réflexion de la propriétaire vienne à diablement se raccourcir, et qui sait, contribue à aider les entreprises à trouver un moment dans leur emploi du temps.
Faire retomber en température l’ambiance dans le village
Oui, mais. Ce fichu muret s’est éboulé le 28 janvier… date hors période considérée par l’arrêté. L’usage voudrait toutefois que les assurances ne chipotent pas. Surtout après que le cabinet Géolithe a rendu son étude géotechnique. En prenant la main, le représentant de l’État pourrait donc faire retomber en température l’ambiance dans le village, qui reste minée par le clivage entre partisans et opposants au projet de contournement -même si, après que le Conseil d’État s’est prononcé, il n’existe définitivement plus. L’équipe du maire de Beynac Serge Parre, qui a revendiqué son appartenance aux pro-déviation, serait, elle aussi, libérée des manifestations d’agacement des conducteurs que l’alternat freine dans leurs déplacements en l’absence de pression touristique.
Entre l’histoire et son récit, il arrive que des écarts fassent leur nid…
Enfin, en assumant la facture des travaux, l’État libèrerait le Département. Une bonne affaire pour son président Germinal Peiro, et qui dépasse les enjeux financiers. C’est que, depuis que le projet de déviation de Beynac a été stoppé, le patron de la collectivité ne s’est pas privé de faire savoir qu’il n’était pas près d’accorder une nouvelle fois sa confiance à l’État, auquel il reproche, en résumé, de ne pas l’avoir prévenu qu’en engageant les travaux du contournement, il prenait un risque (un reproche sévère qui n’empêche pas Germinal Peiro de marteler que, s’il est reconduit dans ses fonctions, il terminera la déviation). Ah… les mémoires résistent parfois difficilement au temps… En effet, le prédécesseur de Frédéric Perissat, le préfet de la Dordogne Anne-Gaëlle Baudouin-Clerc avait, au contraire, averti le président du Département : l’article 37 de son arrêté d’autorisation des travaux en atteste (il prévoit les recours). Et le représentant de l’État de l’époque n’avait pas été le seul à inviter Germinal Peiro à la prudence. Le vice-président du conseil général de l’environnement et du développement durable (CEGDD) Nicolas Forray s’était déplacé en Dordogne pour faire valoir le contenu de son rapport, bouclé en septembre 2017. S’il y estimait d’abord le projet conforme, réalisable sans que l’État ne mette la main à la poche, il se montrait ensuite, dans le même document, très prudent sur son acceptabilité. Ainsi invitait-il à ce que ses partisans et ses opposants prennent le temps de se parler. D’autant que l’aménagement de la traverse de Beynac par l’équipe de l’alors maire Alain Passerieux rebattait sérieusement les cartes : la question de l’intérêt du projet méritait tellement d’être posée que le haut-fonctionnaire Nicolas Forray invitait même à un moratoire. Son analyse démontrait en effet très exactement qu’après ces travaux dans la traverse, Beynac… n’avait plus besoin d’être contourné, même s’il suggérait de réaliser quelques aménagements complémentaires. Force est de constater que sa proposition n’a pas été retenue par le Département : de réunion de concertation, il n’y a jamais eu. En revanche, le rapport Forray a lourdement pesé dans la décision du Conseil d’État. Entre l’histoire et son récit, il arrive que des écarts fassent leur nid…
Il faut souhaiter que cette forme de mascarade prenne fin. Les touristes n’ont pas à être pris en otages pour une affaire strictement liée à l’humeur d’un responsable politique local.