
Jean-Pierre Bouchard est un nom dans l’expertise psychologique des criminels et des victimes. L’analyse de ce natif de Sarlat, qui n’a jamais cessé d’être attaché au Périgord noir, est régulièrement convoqué quand des faits-divers dramatiques secouent l’opinion. Jean-Pierre Bouchard livre aujourd’hui les issues possibles à la traque de l’auteur d’un double homicide dans les Cévennes, encore en cours. La paranoïa dont semble souffrir le jeune homme est à ses yeux la première des difficultés auxquelles le GIGN est confronté. Loin devant celles dues à la topographie du paysage cévenol -et les Périgourdins savent d’ailleurs qu’on se repère dans une forêt comme dans une ville : les arbres, les clairières, les éléments naturels sont tout aussi identifiants que les rues ou autres caractéristiques urbaines. Le fameux docteur en psychologie et en droit pénal et sciences criminelles revient donc sur la « coloration supposée de la personnalité » du fuyard, la paranoïa.
« On est dans une affaire récurrente, une vraie référence en matière judiciaire ». L’expert en criminologie Jean-Pierre Bouchard campe d’abord le décor funeste de celle qui mobilise depuis 3 jours 300 gendarmes dans les Cévennes, dont des hommes du GIGN : « un individu qui commet par surprise un double homicide, repasse à son domicile, et disparaît ». C’est alors qu’on découvre qu’il connaît bien les armes, au point d’avoir voulu être tireur d’élite. En clair, l’homme- qui reste aujourd’hui suspecté de ces meurtres- a un sacré potentiel dangereux. Puis il est supposé souffrir de paranoïa, un élément qui rehausse notablement sa dangerosité. Mais, la paranoïa, ça ressemble à quoi ?
« Les personnalités paranoïaques interprètent les choses, en les biaisant, pour se déresponsabiliser »
« Nous, cliniciens, distinguons deux grands stades dans la paranoïa ». Il y a, Un, « la personnalité paranoïaque de base ». Jean-Pierre Bouchard décrit des gens « entêtés, psychorigides, égocentriques, se surestimant, méfiants, qui se dégagent de leurs responsabilités »… en les transférant plutôt sur les autres. La méfiance est aussi constitutive de leur comportement. Le mécanisme à l’œuvre est la torsion des situations dans lesquelles ils se retrouvent. « Ils interprètent les choses, en les biaisant » à l’aulne de leur perception erronée. « À leur sujet, on parle de paralogisme». En poursuivant, encore une fois, un objectif : « se déresponsabiliser ». Que cette tendance s’aggrave, et on entre dans le second stade, celui du « délire paranoïaque ». Les individus restent animés par la volonté de « faire valoir leur bon droit… à eux ». Qui n’est pas souvent raccord avec celui des autres. « S’estimant souvent être victimes de préjudices ou de persécution, ils deviennent récréminateurs, voire procéduriers ». L’inclination pour les engagements de procédures a été pointée dans le cas du fuyard cévenol Valentin M.. Elle s’aggrave, poursuit Jean-Pierre Bouchard, quand « ils deviennent très ardents dans leurs convictions et leur désir de régler les comptes… ». Cette aggravation leur vaut alors, chez les experts, le nom de « paranoïaques de combat ». La bascule dans cette catégorie peut alors se traduire par des altercations, des violences, susceptibles dans les cas les plus graves d’emporter ceux qui entendent empêcher ce passage à l’acte. Le Cévenol recherché semble avoir précisément produit ces « ricochets de violence homicidaire » -il garde bien sûr aujourd’hui le statut de suspect. Son collègue aurait été abattu parce qu’il tentait de s’interposer entre le jeune homme et son employeur, qu’il allait tuer. L’entêtement a enclenché le jusqu’auboutisme.
« Les personnalités paranoïaques ont une grande capacité à organiser les choses (…) y compris l’après homicide »
« Ces personnalités paranoïaques ont parfaitement conscience des choses, la paranoïa est une coloration de la personnalité ». Certains paranoïaques recherchent le pouvoir. De quoi redouter, au quotidien, qu’ils deviennent des chefs dans une entreprise ou toute autre organisation, car le pouvoir leur donne le moyen d’exprimer bien davantage ladite coloration, qui se trouve ainsi augmentée. Si Jean-Pierre Bouchard « ne connaît pas » l’enquête en cours dans les Cévennes, il « connaît le sujet (la paranoïa et ses passages à l’acte délinquantiels et criminels) ». Ces personnalités témoignent d’« une grande capacité à organiser les choses, elles les préparent méthodiquement ». Et la suite -« l’après homicide »-peut avoir été planifiée dans leur feuille de route. Ce souci d’atteindre l’horizon de leurs intentions leur donne « un temps d’avance » sur les forces de l’ordre. Le fuyard cévenol a un autre atout pour lui : il est jeune et en bonne forme. En plus, c’est un connaisseur du terrain. Maintenant que 300 gendarmes le traquent, quels sont les scenarii qui peuvent se déplier ?
Le chemin de l’ « autocritique »… ou le suicide
Son souci de la méthode peut l’avoir fait prévoir de « stocker un véhicule ou d’avoir été transporté »… et alors, il est aujourd’hui hors de la zone de 15 km sur 15 km que les gendarmes ont délimitée. Mais il peut aussi y être resté. Dans cette deuxième hypothèse, Jean-Pierre Bouchard le pense tout à fait à même de « tenir quelques jours ». Alors, ou bien le temps passant, avec notamment l’appel à se rendre de son père, « touché émotionnellement il devient plus autocritique, et se rend ». Ou bien, « conscient de la réalité » et des comptes que la justice lui demandera, il bascule vers le suicide, compris comme l’affirmation d’ « avoir raison sur tout », conformément aux caractéristiques de la paranoïa à ce stade gravissime. Une option ultime que le manque de sommeil et l’accumulation d’autres carences peut favoriser. Mais, dans les Cévennes, ce facteur-là ne jouerait pas encore : le fuyard a 29 ans et est en bonne santé, donc.
Il y a encore une troisième issue à cette traque infernale.
Les gendarmes en danger… ainsi qu’une éventuelle « liste noire » de civils
« Sachant qu’elles vont mourir, ces personnes peuvent tuer encore ». Les gendarmes courent le risque d’être ses cibles, mais aussi tout l’entourage avec qui « elles ont eu des différents». Ces individus peuvent avoir « une liste noire », qui rassemble les noms de ceux à qui « ils en veulent ». Ce schéma, le GIGN le connaît bien. Passage alors au « baroud d’honneur -un honneur faussé, je le rappelle, doublé d’une accumulation de déceptions et de frustrations vécues comme autant de préjudices », qui se traduit par un feu d’artifice mortifère, où l’individu atteint encore son objectif : mourir pour éviter d’assumer ses actes sans renier ses mobiles. Valentin M. serait en outre détenteur d’un fusil à longue portée (300 mètres).
« Les gendarmes savent que c’est le type de situation qui ne souffre pas d’a priori. Toutes les hypothèses vont être explorées »
Reste une quatrième hypothèse et c’est « le scénario le plus compliqué » : l’homme recherché … n’est plus dans la zone circonscrite- l’hypothèse du véhicule stocké, ou du transport de l’intéressé se réactualise. Une espèce de passerelle se tend avec une affaire Xavier Dupont de Ligonnès, qui s’est volatilisé, et dont on ignore encore aujourd’hui s’il est en vie. Même s’il n’est pas établi que l’auteur de la tuerie familiale entre dans le classement des personnalités paranoïaques. « Ce qui est sûr, c’est que les gendarmes ne vont abandonner aucune hypothèse, ils savent que c’est le type de situation qui ne souffre pas d’a priori ».
« Les psy’ ont peu de prise sur ces personnalités, ce sont des gens peu coopérants, à l’ego surdimensionné »
En tout état de cause, « raisonner un paranoïaque qui est au pic de ses motivations comme ce jeune homme des Cévennes est une gageure ». Mais attention, si cette « coloration de la personnalité » est pour l’heure évoquée en raison d’ « indicateurs », comme son port d’un gilet pare-balles pour aller travailler la semaine qui a précédé le drame. Aussi, même s’il y a lieu à l’avancer, le diagnostic reste à confirmer. Par ailleurs, Jean-Pierre Bouchard précise qu’il ne s’agit pas de déduire non plus de sa description de la paranoïa que les personnalités qui en souffrent sont toutes dangereuses. Il s’agit bien sûr de cas rares. En revanche, oui, cette « coloration complique les choses ». Au quotidien, leur propension procédurière « canalise leur violence »… et, dans le même temps, « encombre la justice ». Les prises en charge sanitaires ont, souligne encore l’expert psychologue patenté, des effets souvent limités. « Dans les formes graves ce sont des gens peu coopérants, à l’ego surdimensionné, convaincus d’avoir raison et donc peu enclins à l’autocritique ». Autrement dit, des sujets qui refusent souvent les psychothérapies et médicaments dont ils estiment ne pas avoir besoin. Quand bien même les médecins les persuaderaient -contrainte aidant– de suivre un traitement… que « la structure de leur personnalité ne changeraient pas vraiment ». Ces personnalités « ne sont pas si rares », et dans leurs formes communes, elles réussissent parfois à conquérir des postes assez importants.
Bravo Jean-Pierre Bouchard ! En fait vous nous dites des choses qu’on sait déjà par coeur ? vous êtes formidables les psychologues vous pensez que les gens sont trop neuneu pour s’apercevoir que vous vous prenez juste pour un journaliste. Nous on vous attend plutôt sur les mécanismes qui amènent ces jeunes gens à commettre des crimes, et donc pour les ÉVITER à l’avenir ces faits ! On attend de vous aussi de comprendre pourquoi les patrons se comportent de plus en plus comme des tyrans sans la moindre once d’empathie ! Moi je sais mais je ne le dirai pas puisque je n’ai pas la chance de passer sur Cnews et de pouvoir balancer des conneries à grand cachet… »les psys ont peu de prise sur ces personnalités à l’ego surdimensionné »…eh bien laissez faire les préventeurs .je ne vous félicite pas M. car nous n’avançons pas. Éric