
Pour le président de l’association Asso3D* Thierry Bonne, « la Dordogne n’est pas un territoire adapté à l’implantation d’éoliennes », et c’est en somme naturellement que ses habitants sont « une écrasante majorité » à s’opposer aux projets des promoteurs. Sans avoir pour autant la fibre militante. À ses yeux, « c’est une espèce de bon sens » qui les anime, et suffit à cimenter leur union, motivée par l’attachement au territoire. La défense constante de son intégrité aurait en outre permis de mettre à jour les ressorts stéréotypés des projets d’alignement de moulins à vents. De quoi en somme théoriser les stratégies de leurs initiateurs. Du pain bénit pour Thierry Bonne, qui, à chaque nouvelle offensive entrepreneuriale -et elles sont nombreuses- s’applique à enrichir une base documentaire, dont il espère qu’elle renforce la démonstration qu’entre les éoliennes et la Dordogne, le divorce est consommé à la simple idée extravagante de les marier. Et à contribuer à boucler une ceinture de protection juridique autour de ses frontières.
« En apprenant qu’un anémomètre allait être installé, nous avons été effondrés ». À entendre Thierry Bonne, les habitants de Puymangou et de Parcoul, deux communes situées au nord-ouest de la Dordogne (pas encore fusionnées avec une autre, chacune), découvrent ainsi que, non seulement un projet d’implantation d’éoliennes concerne leurs territoires… mais qu’il est déjà bien avancé. En effet, « toutes les promesses de bail avaient été signées ». Bientôt, 5 éoliennes de 182 mètres de hauteur en bout de pales vont être érigées**. Toutefois, la fronde se lèvera après avoir accusé un effet retard – comme l’abus d’alcool attend le lendemain pour serrer les tempes en étau.
« En 2013-2014, il fallait lutter contre les discours qu’on avait intégrés pour s’opposer aux éoliennes »
« Je décroche mon téléphone pour sonder la réaction d’un voisin, qui est, comme moi, propriétaire de chambres d’hôtes ». Mais, contre toute attente, au bout du fil, son interlocuteur lui confie qu’après tout, il… « n’a rien contre les éoliennes ». Passée la stupeur, Thierry Bonne réalise que sa réplique est logique : dans les années 2013-2014, il était difficile de se dire contre les grandes hélices. « Il fallait au préalable lutter contre des discours que l’on avait intégrés ». Les éoliennes jouissent toujours d’une image avantageuse. Ainsi, dans les manuels scolaires, elles incarnent l’idée même d’énergie renouvelable, et, pour illustrer la toute nouvelle attention que l’on se promet d’accorder à la planète, on choisit… des photographies d’éoliennes. C’est dire qu’adhérer à une association d’opposants ne va pas de soi.
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« Qu’un seul parc éolien soit implanté en Dordogne… et d’autres suivront immanquablement »
« Des associations telles que Asso3D réunissent avant tout des habitants ». Autrement dit, ce n’est pas avec un réservoir de militants (des personnes acquises à la cause des anti éolien) qu’elles ont constitué leurs troupes. Non, explique Thierry Bonne, celles-ci se sont avant tout formées avec ceux qui cherchaient à se défendre d’une menace d’effraction. Les habitants « n’avaient rien contre » les grandes hélices… jusqu’à l’annonce de leur arrivée. La mise en situation change tout, ils ont, poursuit-il, le sentiment qu’on s’en prend à leur espace -et c’est leur enveloppe. Ils réalisent que ce projet est « monstrueux ». Initialement, il y en a même 4 sur les rails dans l’ancien canton de Saint-Aulaye, « en pleine forêt de la Double ». Promeneurs, amateurs de champignons, chasseurs, propriétaires de chambres d’hôtes… se trouvent spontanément un intérêt commun : ne pas laisser faire ça, et ils s’agrègent dans le mouvement de défense de la forêt de la Double. « Si le Périgord Vert est méconnu, si l’on y nourrit un peu un complexe au regard de l’aura du Périgord Noir, on est conscient de sa richesse ». Ici comme ailleurs, continue le président de Asso3D, il y a un impératif : empêcher qu’une brèche soit faite. « Qu’un seul parc éolien soit implanté en Dordogne… et d’autres suivront immanquablement ». Thierry Bonne en veut pour preuve l’exemple du Ruffécois, à deux pas de Puymangou, côté Charente, au nord. « Aujourd’hui, une dizaine d’enquêtes publiques ont été menées récemment… ». Ceux qui ont ouvert la porte au premier promoteur s’en mordraient les doigts.
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« Asso3D se concentre sur l’éolien, rien d’autre »
« J’observe que les préfets ont tendance à contrôler le bon respect de la procédure, qu’ils s’attachent à ce qu’aucun vice de forme puisse les exposer à une contestation devant le tribunal administratif ». C’est que l’État a fait savoir à ses représentants qu’il encourageait l’éolien. Alors, peu importe « la vision locale », déplore Thierry Bonne. Exit les particularités du terrain, qui pourraient contrarier l’application des consignes. « Se demande-t-on tout simplement si cette installation « industrielle » est bien placée ? ». Non, dit-il. Or, la situation, le paysage dans lequel on vit par conséquent, est un sujet qui survole les différences entre les catégories socio-professionnelles qui l’habitent, entre les idées politiques qui s’y expriment. Sauf à le mélanger à d’autres, ce dont Asso3D se garde bien. « On se concentre sur l’éolien, rien d’autre ». Pas question de prendre position commune sur le ball-trap de Servanches voisin ou, quand le projet existait, sur la déviation de Beynac, pour le coup lointain.
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« Votre intérêt est de signer ce bail irrévocable… mais, surtout, motus »
« Le commercial s’attache à faire signer à un propriétaire une promesse de bail irrévocable de 20 pages ». L’assise foncière serait la clé de voûte d’un projet éolien. « Tout le reste, c’est de l’habillage ». Thierry Bonne avance que le promoteur « sait où il va implanter » les grandes hélices, charge à lui de bâtir a posteriori la démonstration qui va bien au fil de la procédure. « Pour obtenir la signature de son interlocuteur, le commercial va mettre en avant un supposé avantage financier personnel… au lieu d’invoquer l’intérêt public ». Et tant pis, insiste le président de Asso3D, si les contrats soumis sont « complètement asymétriques », et que « tous les notaires préviennent qu’il ne faut surtout pas les signer ». À titre d’exemple, que la société d’un promoteur soit liquidée et le coût du démantèlement des moulins à vent pourrait revenir… au propriétaire du terrain sur lequel ils sont implantés -une affaire à plusieurs centaines de milliers d’euros. En dehors de la propension d’un prospect à se laisser séduire par des promesses sonnantes et trébuchantes plutôt que de lire attentivement les 20 pages qu’on lui tend, il y aurait « une technique » pour le décider à apposer sa signature. « Surtout, vous n’en parlez pas… ». Comme si le silence était la condition à respecter pour devenir un petit veinard.
« En matière de projet éolien, il y a un problème de démocratie »
« En matière de projet éolien, il y a un problème de démocratie ». Un conseil municipal peut se prononcer en faveur d’un projet… et ses administrés s’y opposer massivement. Des maires finissent par s’incliner, à l’image de Yannick Lagrenaudie à Saint-Aulaye-Puymangou (les deux communes ont fusionné le 1er janvier 2016), parce qu’ils se sentent, comme lui, « dans l’impossibilité de soutenir un projet qui soulève autant d’opposition ». Reste qu’une fois la machine en route, difficile de la stopper. Si 3 projets prévus en forêt de la Double sont aujourd’hui tombés, celui de Saint-Aulaye-Puymangou et Parcoul-Chenaud court toujours.
« S’opposer à l’implantation d’éoliennes en Dordogne est compatible avec le soutien d’alternatives énergétiques vertes »
« Les éoliennes ne sont pas adaptées à la Dordogne ». À la force d’ « une espèce de bon sens » s’ajouterait, en terre périgourdine, son pouvoir agrégateur. Un phénomène « rare », selon Thierry Bonne. Et que l’on n’aille pas s’imaginer que les opposants refusent qu’on érige des éoliennes parce qu’ils refusent le recours à des énergies renouvelables. « Il y a des solutions alternatives à l’éolien »… qui, cette fois, feraient même l’unanimité. C’est le cas d’un projet photovoltaïque à Saint-Aulaye, où, en revanche, les grandes hélices « ont 95% de la population contre elles ».
(*) Asso3D comme Défendons le val de Dronne et la forêt de la Double.
(**) Projet de parc éolien sur les communes de Parcoul-Chenaud et Saint-Aulaye-Puymangou.