
Si Noël Mamère a quitté la vie politique au lendemain des élections législatives de 2017, il reste de ceux qui incarnent le mouvement écologiste en France. En outre, au plan personnel, la Dordogne lui parle. C’est dire s’il a suivi de près l’affaire du contournement de Beynac. Noël Mamère retient sa dimension « symbolique », « jurisprudentielle » et analyse ses ressorts.
Pour l’écologiste Noël Mamère, le retentissement de l’affaire du contournement de Beynac, projet porté par le Département de la Dordogne dont la cour administrative d’appel de Bordeaux a, le 10 décembre 2019, sérieusement entamé la possibilité, dépasse sans conteste les frontières du Périgord. Ce feuilleton judiciaire lui apparaît « très révélateur de ce peut être l’esprit politique » et de son « obsession de l’aménagement ».
« Beynac, un projet du XXe siècle… mais on est au XXIe ! »
Que vous inspire l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 10 décembre 2019, qui estime le projet de contournement de Beynac infondé et enjoint le Département de la Dordogne à démolir le chantier ?
Déjà, c’est une décision rare. Elle obéit au bon sens et elle est adaptée. Alors que matin, midi et soir, on nous explique qu’il y a urgence climatique, comment pourrait-on mener des projets qui n’y répondent pas, bien au contraire ?
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Ce projet de contournement de Beynac, porté par le président du Département Germinal Peiro est un projet du XXesiècle… un siècle dont on voit aujourd’hui les effets néfastes sur notre environnement et sur notre santé. Au XXIe siècle, comment imaginer de construire une route entre un château classé au patrimoine mondial, une route qui existe déjà, la voie ferrée et la rivière ? Là, on n’est plus dans la réalité, on est au pays du père Ubu !
« Une rébellion belle à voir ! »
Dans cette histoire, voir que des personnes âgées ont un temps occupé le terrain, des… zadistes, m’avait beaucoup intéressé. Je m’étais dit que le travail accompli par les écolos depuis des décennies n’avait pas servi à rien : ces personnes, plutôt conservatrices sur le territoire concerné, qui n’ont donc ni une mentalité de gauche, ni d’écolos, utilisaient… les méthodes de ceux-ci. Cette rébellion était belle à voir !
… d’autant qu’il faisait froid, que c’était dans la paille et la boue… C’était très courageux et en tout cas très significatif de la mobilisation grandissante de la société. Il y a 25 ans, un projet comme celui-là aurait abouti.
À cet égard, l’affaire de la déviation de Beynac est aussi très intéressante en montrant comment l’administration a eu beaucoup de difficultés à évoluer, comment le préfet et les élus sont dans la même barque, avec le même état d’esprit, qui consiste à croire que plus on aménage, plus on va dans le sens du progrès. « Il faut désenclaver ! ». Alors on vous raconte que l’on désenclave en bétonnant… sachant que l’on ne désenclave rien du tout d’ailleurs mais que l’on bétonne tout en vous parlant de ruralité !
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« L’environnement n’est pas le seul problème. Il y a aussi un problème démocratique »
Une chose est sûre : de l’argent public est parti en fumée – dans le chantier tel qu’il est, dans la mise en œuvre de moyens de communication pour persévérer à défendre le projet… sans compter qu’à présent, il faut procéder à la démolition du chantier…
Cette affaire me fait penser au film Chinatown de Roman Polanski, même si l’on ne peut quand même pas parler de Chinatown-sur-Dordogne… En tout état de cause, cette affaire de déviation de Beynac est la démonstration qu’un baron local qui tient ses élus peut impunément gaspiller l’argent public au profit de son projet mégalomaniaque. L’environnement n’est donc pas le seul problème qui se pose, il y a aussi un problème démocratique. Et les citoyens pourraient être amenés à demander des comptes au président Peiro. D’ailleurs, la justice, qui a demandé la destruction de ce qui a été construit, aurait aussi pu demander le remboursement de tous les frais qui ont été engagés autour de cette obsession.

« Germinal Peiro aura peut-être le temps d’être réélu… avant de communiquer les documents comptables »
Pour l’heure, les opposants au projet de contournement de Beynac réclament toujours les documents qui permettraient de connaître précisément le détail des factures du chantier réalisé, et celui des devis de sa déconstruction…
Il va falloir que la chambre régionale des comptes se mêle de ce qui la regarde ! Je sais que les citoyens qui se sont mobilisés pour empêcher cette folie se mobilisent maintenant pour obtenir la communication des documents qui justifient les dépenses engagées par le Département de la Dordogne. Son président ne peut pas refuser très longtemps, de par la loi de 1977. À un moment donné, il va devoir ouvrir les cahiers. C’est vrai que cela peut encore prendre du temps… et assez peut-être pour que Germinal Peiro puisse être réélu avant que les documents réclamés soient communiqués. Pourtant, le contournement de Beynac est vraiment la métaphore d’un délire d’aménageur, d’un délire d’un politique qui croit qu’il va pouvoir changer le visage de la planète.
« Le seul qui sera gagnant en termes d’argent, c’est Bouygues »
Avec, maintenant, la déconstruction du chantier, la facture devient très salée…
Outre le site qui est sauvé, le seul bénéficiaire en termes pécuniaires, c’est évidemment Bouygues. C’est toujours pareil, c’est celui qui va gagner le plus d’argent dans cette histoire.

La responsabilité de ce gaspillage d’argent public revient-il selon vous exclusivement au président Peiro ?
Non, la responsabilité est partagée entre le président du Département et le préfet. C’est l’obstination d’un politique et d’une administration. Le représentant de l’État a une responsabilité.
Le conseil d’Etat ne se saisit pas comme ça et le président Peiro ne peut l’ignorer. Son insistance à réaliser ce projet de contournement tourne-t-il -et depuis un moment- à l’entêtement ?
Oui, je connaissais bien Germinal. Cet aménagement était un rêve de son père et il s’est mis dans la tête d’accomplir le rêve de son père. À mon avis, il s’est senti missionné. Mais passons sur la psychanalyse de comptoir… C’était en tout cas le projet de sa vie.
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Germinal Peiro a aussi déclaré, avant l’audience de la cour administrative d’appel du 28 novembre 2019 qu’en cas d’échec, il chercherait d’autres recours juridiques… ou politiques.
Mais ça ne veut rien dire ! Après cette décision de la Cour, qui fait jurisprudence… je pense qu’il n’aura pas beaucoup de politiques derrière lui… Maintenant que le jugement est rendu, les politiques qui auraient pu le suivre ne le feront pas, ils n’oseront pas. Et puis ça veut dire quoi des « recours politiques » ? Qu’il considère que la justice n’est pas indépendante ? Que la politique peut défaire ce que la justice a fait ? C’est une conception de la politique de petit baron.
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Reste qu’il semble que ce recours politique soit possible : le Premier ministre aurait en somme la possibilité d’écarter la décision de justice.
Je ne sais pas. Mais, même si le Premier ministre n’est pas un écolo, qu’est-ce qu’il irait faire dans cette galère ?
« Oui, il y a de la sincérité dans l’obstination du président Peiro »
Si le président Peiro s’est montré aussi obstiné, n’était-il pas également sincère en croyant à ce projet de contournement de Beynac ?
Évidemment qu’il y a de la sincérité dans son obstination, sans doute liée à l’engagement qu’il avait pris vis-à-vis de son père –« j’accomplirai ce que tu n’as pas pu faire ». Puis il était sans doute convaincu que c’était bon pour la Vallée… Eh bien non, ce n’était pas bon.
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La conviction avec laquelle le président Peiro a défendu son projet de contournement de Beynac at-elle pu corroder son appréciation ?
Dans cette affaire, son obstination était telle qu’il n’avait plus aucun discernement. D’une certaine manière, il se comportait comme on se comporte dans un pays totalitaire : tu t’opposes à moi, tu es mon adversaire, mon ennemi, tu veux ma mort. Il y avait d’ailleurs un peu un délire persécutoire.